Rencontre avec Philippe Lenfant, professeur en écologie marine

Philippe Lenfant est enseignant en écologie Marine à l’université de Perpignan et participe à des programmes de recherche au sein du CEFREM1. C’est une unité mixte de recherche de l’université et du CNRS2, qui travaille entre autres sur des thématiques liées aux poissons, plus particulièrement aux espèces côtières.

 

Quel type de recherches faites-vous ?

Je m’intéresse aux mécanismes de maintien des populations de poissons. Il existe une forte variabilité dans le nombre de juvéniles qui arrivent chaque année. C’est une étude qui remonte à 1994, pendant mes années étudiantes. Depuis, je me mets à l’eau tous les ans avec une petite équipe et je dénombre les juvéniles. Côté recherche appliquée, ce qui m’intéressait quand j’étais étudiant, c’étaient les milieux protégés, comme les réserves et leurs bénéfices sur les poissons. Puis, je suis allé voir ce qui se passait à l’extérieur, avec de fortes similitudes sur les récifs artificiels. J’ai été amené à travailler ensuite sur les questions de restauration écologique.

 

Quelles sont les méthodes utilisées pour vos recherches ?

Je suis un chercheur de terrain, je n’ai pas de blouse ! Je fais beaucoup de plongée pour évaluer la densité des communautés de poissons, avec des outils non destructeurs, comme le comptage visuel. J’utilise aussi la télémétrie acoustique3. J’ai un réseau de plus de 100 récepteurs entre la France et l’Espagne pour suivre les déplacements des poissons équipés d’émetteur, l’aire qu’ils occupent lors de ces déplacements journaliers. Je travaille aussi avec des collègues qui utilisent la sédimentologie4, la biologie moléculaire, l’ADN environnemental ou la bioacoustique. L’idée, c’est d’avoir une approche pluridisciplinaire et complémentaire.

 

Combien d’individus de poissons suivez-vous ?

On a marqué près de 300 poissons de différentes espèces (mérou, sar, loup, barracuda) entre 2021 et 2023. On travaille en collaboration avec l’Ifremer et son programme Connect-Med. On a réuni les deux réseaux pour avoir une vision plus globale, qui va des Baléares à Marseille. C’est le plus grand réseau en Méditerranée, avec environ 400 individus et 200 hydrophones pour les suivre. On a fait des marquages dans le cadre du projet FISHOWF5, qui vise à étudier le comportement des poissons et à évaluer l’effet des éoliennes en mer, et du projet RESMED6, qui cherche à améliorer la qualité des systèmes marins côtiers du Nord-Ouest Méditerranéen. On veut avoir un référentiel et voir comment tout cela va évoluer. Là, on repart avec le projet RESMED+ avec 300 individus supplémentaires qui vont être équipés. Nous allons cibler les zones un peu plus au large sur le plateau continental où sont pressentis les sites de développement des futurs parcs commerciaux d’éoliennes en mer.

 

Quelles sont les caractéristiques de ce site ?

En fait, c’est tout le golfe du Lion qui présente la spécificité d’être une zone sableuse. Le comptage visuel en plongée y est plus difficile en dehors des récifs, ainsi ce programme va nous y aider. On sait que le golfe est une zone très productive en poissons. On a fait une étude des débarquements de pêche, de Leucate à Argelès, et on a observé plus de 100 espèces. C’est énorme compte tenu du fait qu’en Méditerranée Occidentale on est à environ 250.

 

Avez-vous noté des changements importants sur cet écosystème ?

Ces études nous permettent de mieux comprendre le fonctionnement des écosystèmes marins, leur variabilité, leur réaction face au changement climatique et aux activités humaines. L’avantage de la Méditerranée, c’est que tout va très vite, on voit ce qui va se passer si on ne fait rien. On peut tester nos hypothèses en fonction des niveaux du changement climatique, de surpêche, de pollution… Il y a déjà des espèces qui sont passées de l’Espagne à la France. J’ai vu des juvéniles de barracuda arriver à partir de 2006. Depuis un an, on a vu aussi arriver la Girelle paon. Alors que le golfe du Lion est la zone la plus froide de Méditerranée, ces deux espèces d’affinités chaudes trouvent maintenant des conditions satisfaisantes.

 

Quelles sont les espèces que vous observez et qui vous intéressent le plus ?

J’en ai deux. Je suis président du groupe d’étude du Mérou. Le mérou a failli disparaître, mais a pu se rétablir grâce à un moratoire qui interdit sa capture depuis 1993. C’est une espèce emblématique de la capacité de restauration des écosystèmes marins. Nous essayons d’obtenir une prolongation du moratoire pour les dix prochaines années. La deuxième, c’est le sar commun, que je suis depuis 30 ans, depuis ma thèse. Une espèce commune qu’il sera intéressant de suivre avec le réchauffement des eaux.

 

Pourquoi une si longue période d’étude ?

C’est une espèce qui réagit au changement climatique et, si je m’étais arrêté sur un programme classique de trois / quatre ans, je serais complètement passé à côté de grands pics d’arrivée massive de juvénile, tous les 10 ans environ, sans qu’on sache pourquoi. Là, j’attends le prochain, aux alentours de 2026, pour continuer à étudier les facteurs environnementaux. Pour arriver à cela, c’est quasiment une vie de recherche. Il faut que la recherche dispose de moyens humains et surtout de temps pour générer des séries temporelles longues.

 

En termes de création d’écosystèmes, je vais être curieux de voir si ces espèces emblématiques viendront coloniser les éoliennes en Méditerranée.

 

 

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1 Centre de Formation et de Recherche sur les Environnements Méditerranéens

2 Centre National de la Recherche Scientifique

3 La télémétrie acoustique est une méthode de suivi scientifique des espèces aquatiques. Des individus sont équipés de marques acoustiques qui émettent des ondes sonores toutes les minutes. Lorsqu’il passe à proximité d’un récepteur disposé sur le fond marin, celui-ci enregistre le signal. Les récepteurs sont relevés tous les six mois pour récupérer les données.

4 La sédimentologie étudie l’origine, le transport, l’accumulation des sédiments et la formation des roches.

5 Le projet FISHOWF développe un suivi pour identifier et évaluer les effets des parcs éoliens en mer sur les peuplements de poissons.

6 Le projet RESMED vise à améliorer la qualité des écosystèmes et de leur biodiversité associée par le biais de la conception et de la mise en œuvre d’actions de conservation et de gestion. Cela inclut tous les habitats essentiels utilisés par les espèces aux cycles de vie différents à une échelle régionale transfrontalière.

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