Rencontre avec… Nicolas Courbin, chercheur au CEFE-CNRS*, spécialisé en écologie du comportement et du déplacement animal.

Il coordonne avec David Gremillet (Directeur de recherche CNRS) le suivi télémétrique des puffins yelkouan engagé depuis 2022, commun aux projets EFGL et EolMed.

 

“J’ai beaucoup travaillé, depuis ma thèse, sur l’écologie des mammifères terrestre, mais également sur les oiseaux marins. Je m’intéresse à la manière dont les animaux utilisent leur environnement, et aux conséquences de l’anthropisation du milieu sur leurs comportements et leurs populations. »

 

Pourquoi vous intéresser à cet oiseau marin qu’est le puffin ?

« Le programme a été initié par David Gremillet (CNRS) et Clara Péron (MNHN) en 2011 à la demande de l’Agence des Aires Marines Protégées, afin d’enrichir les connaissances sur le comportement des puffins de Scopoli et yelkouan : les zones où ils se nourrissent et se reposent en Méditerranée, leurs routes migratoires. Depuis le puffin sert d’étendard pour les oiseaux marins du large. »

 

Vous leur avez fixé de mini GPS ?

« Oui, nous avons équipé plus de 200 puffins de Scopoli et yelkouan de balises depuis le début du programme ! On peut recevoir leur position toutes les minutes ou toutes les heures selon notre besoin. Ces GPS se miniaturisent, émettent plus longtemps grâce aux panneaux solaires et sont de plus en plus précis. »

 

Le puffin est-il un grand voyageur ?

« Oui. Nos observations montrent que les puffins de Scopoli migrent en Atlantique l’hiver, du Maroc à la Namibie. Certains individus sont très côtiers et d’autres résident très au large proche de l’équateur. Les puffins yelkouan restent en Méditerranée toute l’année et la plupart migrent jusqu’en mer Noire. Les deux espèces reviennent chaque année dans le golfe du Lion pour se reproduire. »

 

Est-ce qu’on peut facilement observer ces oiseaux ?

« En France, on trouve la plus grosse colonie de puffins yelkouan au Parc National de Port Cros. Quand ils se dispersent à l’intérieur du golfe, ils peuvent rester près de la côte. Les puffins de Scopoli nichent majoritairement au Parc National des Calanques et se déplacent plus au large. Ils sont surtout connus, par exemple, de ceux qui font de la voile ! Dans tous les cas, laissons-leur des zones de quiétude, sur les îles pour la nidification et en mer où ils forment des radeaux pour se reposer ! »

 

Où se trouve leur « restaurant » préféré ?

Les puffins yelkouan fréquentent largement l’ensemble du Golfe où ils se nourrissent de petits pélagiques (anchois, sardines). Les Scopoli eux se retrouvent un peu plus au large et plutôt dans l’Est du Golfe. Ils adorent les fortes ruptures de pente, comme le canyon sous-marin au large de Cassis. Les deux espèces affectionnent les eaux poissonneuses à la sortie du Rhône. »

 

Le mâle ou la femelle : qui fait le baby-sitting chez les puffins ? 

« La femelle pond un seul œuf par an, il est donc très précieux pour les parents. Il y en a toujours un des deux qui reste pour protéger l’œuf puis le poussin dans ses premiers jours de vie, pendant que l’autre va chercher de la nourriture en mer la journée. Ensuite, le jeune reste seul la journée. Farouches, pour éviter les prédateurs, le puffin attend la nuit noire pour rentrer. »

 

Que faites-vous de toutes vos observations ?

« Reliées à des variables environnementales comme la température de l’eau ou la localisation des zones les plus poissonneuses, nos observations sont aussi corrélées aux programmes de démographie. Les résultats nous renseignent sur le comportement des puffins et l’état des populations. Toutes ces données constituent un état initial. »

 

Puffin et activités humaines, quelle cohabitation ?

« Les puffins traversent énormément de zones anthropisées, aménagées par l’homme, que ce soit en Méditerranée ou lors de leurs migrations. Prises séparément, les multiples perturbations humaines rencontrées par ces grands voyageurs peuvent avoir un effet négatif plus ou moins fort sur leurs populations, mais lorsqu’on considère leur impact cumulé, on comprend mieux pourquoi les puffins se portent mal en France. La préservation des puffins nécessite une vision internationale des mesures de conservation »

 

Quel est aujourd’hui leur comportement dans notre région du golfe ?

« Le golfe occidental est plutôt fréquenté par les puffins yelkouan. Parmi les données intéressantes en lien avec les éoliennes, nous avons étudié la hauteur de vol : les premiers résultats montrent qu’ils volent à un ou deux mètres au-dessus de la mer, surfant à la surface de l’eau ! Si c’est un bon signe en faveur d’un très faible risque de collision avec les pâles des éoliennes des futurs parcs pilotes [qui seront installées au large de Gruissan et Leucate-Le Barcarès], la technologie des éoliennes flottantes offshore est nouvelle en Méditerranée. Nous ferons alors de nouvelles campagnes de suivi des puffins post-installation des éoliennes afin de comprendre leurs ajustements comportementaux. »

 

Une petite confidence… une tendresse pour une espèce marine en particulier ?

« J’affectionne particulièrement les puffins de Scopoli, ces mini albatros de Méditerranée, évoqué dans la mythologie grecque. Leurs pérégrinations transcontinentales, leurs cris si étranges lorsqu’ils résonnent dans les falaises des îles de Marseille et l’élégance de leur surf aérien m’envoûtent. »

 

CEFE-CNRS : le Centre d’Écologie Fonctionnelle et Évolutive

© Nicolas Courbin

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